Témoignage d’un dispositif ORE au château d’Espeyran

Ce témoignage fait suite à notre article sur les ORE, si vous voulez en savoir plus c’est ici.

Henri-Luc Camplo, responsable du Centre national du microfilm et de la numérisation (CNMN) et du château d’Espeyran, nous explique l’intérêt de ce nouvel outil juridique pour aider à préserver l’environnement :

– Pouvez-vous présenter le château d’Espeyran et les activités que vous menez ?

Le château d’Espeyran, une merveille située aux confins de la Camargue et des Costières de Nîmes, labellisée « Maison des illustres ».

D’un côté, nous avons les collines des Costières de Nîmes, et de l’autre la Camargue gardoise et le grand delta du Rhône. Des recherches archéologiques sur notre site ont révélé la présence d’un comptoir commercial grec dès le VIe siècle avant Jésus-Christ. Au Moyen-Âge, Espeyran était la résidence d’été des abbés de Saint-Gilles. À la Révolution, il est devenu « Bien National » et a été acheté par une famille de Montpellier, les Sabatier, qui l’ont conservé jusqu’en 1963, puis en ont fait donation à l’État. Le château conserve ainsi le mobilier accumulé d’une riche famille bourgeoise du XIXe siècle : il ne s’agit pas d’un musée mais d’un lieu de vie où rien n’a été bouleversé, plus de 5 000 objets dont plusieurs centaines sont inscrits ou classés, une très belle collection de véhicules hippomobiles, une sellerie, enfin un parc paysager, protégé, de 13 hectares et une réserve archéologique de 7ha.

En 1973, on a construit ici un centre d’archives (microfilms et aujourd’hui documents numérisés), et c’est seulement en 2006 que nous avons commencé à véritablement mettre en valeur le château, son parc et ses collections auprès du public. L’éducation artistique et culturelle est ainsi au cœur de notre action : nous accueillons 3 000 enfants sur l’année. Espeyran est un outil culturel dévoué à ce territoire du sud du Gard, pour sensibiliser et parler de culture et de nature à ses habitants.

Depuis plusieurs années nous sommes attentifs à la protection de notre environnement et nous souhaitons être exemplaire sur ces questions en intégrant résolument le Vivant dans notre projet de service. Ainsi, en 2021, nous avons signé la charte des éco-acteurs de la réserve de biosphère de Camargue et en mars 2022 notre Obligation Réelle Environnementale (ORE).

– Pourquoi avoir décidé de mettre en place le dispositif d’ORE ? Quels ont été les moteurs/déclencheurs ?

La protection du Vivant c’est vraiment existentiel ! Mais comment agir au niveau individuel ou à l’échelle d’un service administratif ?

L’ORE nous donne un cadre juridique mais également symbolique. Elle représente l’engagement de toute l’équipe du château d’Espeyran. Au cœur même de notre activité quotidienne de gestion des archives et de notre mission de protection et valorisation du patrimoine culturel, l’ORE ouvre un débat sur la manière d’envisager désormais nos métiers en lien avec le vivant.

Notre questionnement, quant au réchauffement climatique et au développement durable, traverse à la fois nos pratiques professionnelles comme notre existence même : dans quel monde voulons-nous vivre ? Dans cet esprit, cette ORE peut nous permettre de donner, très concrètement, un cadre pour repenser nos métiers et notre vie en s’obligeant envers le Vivant.

– Quelle est la durée du contrat ORE que vous avez mis en place ? Pourquoi ? Il y a-t-il un lien avec la durée pour atteindre l’objectif voulu ou une contrainte de temps particulière ?

Le château d’Espeyran s’engage pour 50 ans dans ce dispositif !

C’est donc un engagement de très longue durée qui engage les signataires d’aujourd’hui mais aussi, demain, nos successeurs … C’est cet aspect qui est fondamental dans la longue durée d’une convention ORE.

Le plan de gestion et d’actions que nous devons élaborer sera réévalué tous les 5 ans.

– Quels sont les co-contractants/partenaires de l’ORE et pourquoi les avoir choisis ? Êtes-vous allé en démarcher plusieurs ?

Nous l’avons signée avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles Occitanie (ministère de la culture) et avec deux institutions naturalistes : le Conservatoire des espaces naturels d’Occitanie et le syndicat mixte de la Camargue gardoise avec qui nous sommes voisins. Ce lien s’est créé lors de la signature de la charte des éco-acteurs de la biosphère de Camargue.

– Quelles sont les actions mises en place (ou prévues) par vous et le co-contractant ?

Le principe de notre obligation, puisqu’il s’agit de cela dans une ORE, est de prendre en compte le vivant dans chacune de nos actions. Nos missions premières sont des missions de conservation patrimoniale concernant les bâtiments du domaine d’Espeyran, ses collections, son parc, sa réserve archéologique. Cette nouvelle obligation nous impose d’assurer ces missions sans entrer en contradiction avec la biosphère d’Espeyran.

Concrètement, nous nous obligeons à réfléchir avec des naturalistes aux modalités de notre métier de conservation, de restauration et de valorisation patrimoniale, et de trouver des solutions pour éviter qu’elles soient pénalisantes pour le vivant.

Nous sommes entrés dans la phase d’élaboration d’un plan de gestion mixte (culture et nature) qui doit aboutir au 2ème semestre 2023 et qui listera les premières actions.

– Comment concilier vos activités avec le respect de l’ORE ?

L’exemple le plus simple est celui de la sérotine, une chauve-souris qui colonise les combles des communs du château. Nous devons pouvoir accéder à ces combles pour l’entretien et d’éventuels travaux. Mais comment le faire sans nuire à la présence de ces animaux, pour rester conforme à notre ORE ? C’est là que les naturalistes entrent en jeu en nous apprenant que cette colonie de 600 individus (sans doute la plus importante du Gard) arrive à peu près au mois d’avril au château, pour se reproduire, et elles repartent à peu près au mois de novembre, pour passer l’hiver dans des grottes cévenoles. C’est donc l’hiver qu’on fera les visites d’entretien et les travaux.

Cet exemple montre ainsi qu’il est facile de rendre compatible la conservation du bâtiment et le cycle de reproduction des chauve-souris. L’ORE, en favorisant le dialogue entre professionnels de la culture et de la nature, permet de trouver des compromis et des solutions pour garantir la protection des bâtiments comme de la biosphère.

Plus compliqué : une partie du château se trouve infestée d’insectes xylophages qui s’attaquent aux meubles et aux parquets. On utilise traditionnellement en France, depuis des années, des produits de fumigations très toxiques qui tuent toute vie sans distinction. Notre réflexion, partagée avec la DRAC, va nous conduire à trouver d’autres solutions et à les mettre en œuvre pour s’attaquer exclusivement aux insectes nuisibles pour les collections. Ce sera peut-être plus compliqué et coûteux, mais c’est notre obligation aujourd’hui de rechercher toutes les solutions ayant un impact minimal sur la biosphère, conformément à nos engagements.

L’outil juridique, encore une fois, nous oblige à considérer un principe : le souci de l’environnement n’est pas accessoire. Au contraire, il est existentiel ! Qu’un établissement culturel se décide à se mettre en obligation vis-à-vis du vivant, c’est aujourd’hui une nécessité. Que notre direction et le ministère nous soutiennent de ce point de vue est un grand encouragement et un réel soulagement.

– Prenez-vous en compte les changements qui peuvent se produire sur le terrain ? (Changements climatiques, nouvelles maladies ou nouvelles espèces…)

Le premier acte d’un engagement ORE c’est l’élaboration d’un plan de gestion et d’actions qui concernera le château, le parc et la réserve archéologique.

Cet outil scientifique, technique, sanitaire et économique permettra de définir, programmer et contrôler la gestion du site dans une approche globale intégrant les aspects naturels et culturels (c’est la spécificité de l’ORE d’Espeyran). Cette réflexion collective doit prendre en compte les attentes et réalités d’aujourd’hui et anticiper celles de demain pour savoir comment adapter nos modes de gestion et d’actions. Cet exercice nous invite à une mutation des approches et des regards pour être dans une réflexion plus systémique, qui décloisonne les expertises en se retrouvant autour d’un enjeu commun « le respect du Vivant »

– Qu’attendez-vous de l’ORE dans le futur ?

Notre objectif est d’être exemplaire. Pour l’instant, nous sommes tellement au début de ce processus que notre plan d’action et de gestion est encore une page blanche. Nous souhaitons travailler sur un modèle de projet qui serait réutilisable sur d’autres sites du ministère de la Culture qui s’intéresseraient au dispositif ORE. Pour nous, ce serait formidable de créer une dynamique d’échanges de réflexions et de bonnes pratiques, mais aussi, très concrètement, un maillage territorial de sites patrimoniaux où la biosphère serait prise en charge de manière volontaire et concrète. Un cercle vertueux qui pourrait faire valoir son influence bien au-delà des établissements relevant du secteur public.

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