Favoriser les papillons de nuit dans les jardins : penser en continuité écologique

Les Hétérocères (c’est-à-dire pour l’essentiel les papillons de nuit) représentent la majorité des espèces de papillons avec près de 5000 espèces en France. Alors qu’ils subissent un déclin lié à de nombreuses pressions associées aux activités humaines dont l’urbanisation et l’éclairage nocturne, les jardins de particulier pourraient jouer un rôle central pour leur maintien en milieu urbain, à condition d’être gérés de manière écologique. Cependant, une récente étude montre qu’il est nécessaire de penser les jardins de particuliers comme des maillons d’une chaîne de jardins favorables à ces insectes : l’impact d’une gestion écologique des jardins est encore plus important s’ils sont entourés d’autres jardins gérés de cette même manière ou d’autres surfaces (semi)-naturelles !

Chenille de sphinx recouverte d’œuf de guêpes braconides.

Les Hétérocères sont essentiels pour les écosystèmes
Les Hétérocères jouent un rôle prépondérant dans les réseaux alimentaires : ils se font manger à tous les stades de leur vie, de la chenille se faisant dévorer par un oiseau ou parasiter par une guêpe, à l’adulte qui se fait happer par une chauve-souris affamée.

Une partie d’entre eux sont également des pollinisateurs et en particulier pour des plantes sauvages qui représentent la grande majorité des espèces de plantes sur Terre (1). Ce rôle, de plus en plus reconnu, bien que mal évalué, est prépondérant car ces insectes semblent avoir une action complémentaire à celle des insectes actifs de jour.

Malgré cette importance pour les écosystèmes, les hétérocères connaissent un fort déclin (2)

L’abondance totale des plus gros hétérocères a par exemple diminué de 33% au Royaume-Uni, et 41% des espèces dont la tendance sur le long terme a pu être évaluée individuellement connaissent un déclin.

En effet, comme de nombreux insectes, ils sont impactés par la destruction de leur habitat en lien avec l’intensification de l’agriculture et l’urbanisation (3). Ils sont également impactés par les pesticides : par exemple, l’exposition de la plante hôte de la chenille à des pesticides réduit le volume de ponte et l’activité de pollinisation (4). Ils sont en plus impactés par la pollution lumineuse, comme récemment soulignée par une étude de chercheurs anglais qui montre que « l’éclairage public dans les rues réduit l’abondance des chenilles de papillons de nuit de 47% lorsqu’il s’agit de haies qui sont éclairées (5)« .

La feuille morte du chêne (Gastropacha quercifolia), que nous évoquions dans un précédent article, fait partie des espèces dont l’abondance a diminué au Royaume-Uni. Cette diminution a été de 98% entre 1968 et 2017.

Dans les villes, ces insectes peuvent être présents, et même potentiellement y trouver leur bonheur comme cela a pu être souligné pour les pollinisateurs actifs de jour (lire notre précédent article à ce sujet). Les jardins de particulier et la manière dont ils sont gérés peuvent jouer un rôle particulièrement important en milieu urbain pour accueillir des pollinisateurs (mais également en zone agricole intensive (6)), comme cela a été montré notamment pour les papillons de jour (7). Mais qu’en est-il pour les papillons de nuits, ces insectes si diversifiés mais pourtant tellement ignorés ? C’est l’objet de la récente étude de deux chercheurs européens (8).

Une étude pour étudier le rôle des jardins en milieu urbain sur les papillons de nuit

Cette dernière, basée en Irlande, utilise le piégeage lumineux pour examiner la réponse des papillons de nuit dans les jardins domestiques à la composition de la végétation des jardins (c’est-à-dire la surface en végétation herbacée, buissonnante, arborée, mais également la végétation en plusieurs strates ou encore la surface artificialisée) ainsi que des habitats directement autour des jardins (dans un rayon de 30 mètres).

Les résultats de cette étude montrent que les papillons de nuit sont influencés positivement par des habitats complexes et diversifiés (en particulier des niveaux croissants de surfaces occupées par des arbustes et des niveaux décroissants de surfaces artificialisées). Cependant, cet effet n’est vrai qu’à une échelle qui s’étend au-delà des limites du jardin pour inclure la zone environnante. En d’autres termes, ça n’est pas la végétation ou la taille du jardin qui comptent directement pour comprendre le nombre de papillons ou d’espèces qui s’y trouvent, mais la végétation autour du jardin étudié.

Ces résultats ont des implications à la fois pour la gestion des jardins et l’aménagement du paysage : si les jardins domestiques sont des éléments clairement utiles dans le cadre de stratégies visant à réduire la perte de biodiversité dans l’environnement urbain, ils doivent fournir un bon habitat et être gérés comme un réseau de parcelles interconnectées plutôt que comme des unités individuelles.

Pour résumer, un jardin géré de manière écologique prend tout son sens quand il est une partie intégrante d’une continuité écologique de jardins gérés également écologiquement ou d’habitats (semi)-naturels, et pas comme un îlot isolé qui suffira à lui-même !

Des jardins gérés favorablement ont la possibilité de former une continuité écologique avec un effet positif sur les papillons de nuits ! Un jardin géré favorablement mais isolé dans une matrice défavorable (entouré de grandes cultures, d’immeubles ou d’autres jardins mal gérés) aura un intérêt bien moindre !

Alors que faire ?

Appliquer des bonnes pratiques de gestion et d’éclairage, faire tache d’huile en rejoignant des réseaux de jardiniers (grâce à notre programme Jardins de Noé par exemple), ou encore s’engager politiquement ou voter pour faire évoluer les comportements à des échelles dépassant les seuls particuliers !

On peut aussi découvrir cette biodiversité nocturne et ces formidables papillons de nuit. Car connaître ce groupe dit méga-divers (les papillons dans leur ensemble représentent près de 160 000 espèces dans le monde !), c’est être certain de ne plus y être insensible ! C’est justement l’objet du projet Lépinoc.

Une question sur les pollinisateurs sauvages ou sur cet article ? Contactez Jérémie Goulnik, chargé de programme Prairies de Noé et Insectes pollinisateurs sauvages : jgoulnik@noe.org

Sources :
(1) Richard E. Walton et al., ‘Nocturnal Pollinators Strongly Contribute to Pollen Transport of Wild Flowers in an Agricultural Landscape’, Biology Letters 16, no. 5 (May 2020): 20190877, https://doi.org/10.1098/rsbl.2019.0877.
(2) https://butterfly-conservation.org/moths/the-state-of-britains-moths
(3) David L. Wagner et al., ‘A Window to the World of Global Insect Declines: Moth Biodiversity Trends Are Complex and Heterogeneous’, Proceedings of the National Academy of Sciences 118, no. 2 (12 January 2021): e2002549117, https://doi.org/10.1073/pnas.2002549117.
(4) Melanie Hahn et al., ‘The Effects of Agrochemicals on Lepidoptera, with a Focus on Moths, and Their Pollination Service in Field Margin Habitats’, Agriculture, Ecosystems & Environment 207 (September 2015): 153–62, https://doi.org/10.1016/j.agee.2015.04.002.
(5) Douglas H. Boyes et al., ‘Street Lighting Has Detrimental Impacts on Local Insect Populations’, Science Advances 7, no. 35 (August 2021): eabi8322, https://doi.org/10.1126/sciadv.abi8322.
(6) Arne Wenzel et al., ‘How Urbanization Is Driving Pollinator Diversity and Pollination – A Systematic Review’, Biological Conservation 241 (January 2020): 108321, https://doi.org/10.1016/j.biocon.2019.108321.
(7) Manfred Pendl et al., ‘Influences of Landscape Structure on Butterfly Diversity in Urban Private Gardens Using a Citizen Science Approach’, Urban Ecosystems, 25 September 2021, https://doi.org/10.1007/s11252-021-01168-6.
(8) Emilie E. Ellis and Tom L. Wilkinson, ‘Moth Assemblages within Urban Domestic Gardens Respond Positively to Habitat Complexity, but Only at a Scale That Extends beyond the Garden Boundary’, Urban Ecosystems 24, no. 3 (June 2021): 469–79, https://doi.org/10.1007/s11252-020-01050-x.

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